mercredi 2 juillet 2008

Billet d'absence


« − Manque de savoir-vivre extrême – il survivait –
Et – manque de savoir-mourir – il écrivait… »
Tristan Corbière



J’en connais qui m’ont cru mort. Ils ne sont pas allé jusqu’à sonner chez moi pour me tâter le pouls, mais je pense que c’est parce que vers chez moi, ça monte un peu. Et puis je suppose que c’est toujours un peu gênant d’être le premier à découvrir un cadavre. On n’a déjà pas assez de toute la vie pour s’occuper des vivants, alors si c’est pour s’embarrasser avec des morts…

Ce n’est pas si facile, de s’absenter. Peut-être que c’est ça, tout simplement, que j’essayais de faire ? Voir un peu ce que ça ferait, de se « déshabiller de la vie », comme dirait l’autre… Le résultat n’est pas concluant : on a beau se cacher la tête dans les bras en espérant que plus personne ne nous voit – on ne se cache jamais de soi-même. Certains diraient qu’il y en a Un autre qui, quoi qu’on fasse, ne nous perd pas de Vue. Mais bon, Celui-Là, j’en fais mon affaire. Non, ce qu’il faudrait, ce serait pouvoir se trouver suffisamment loin de soi pour respirer un peu. Faire un arrêt au stand, se remettre l’âme à neuf, et repartir. Est-ce que c’est ce qu’il se passe pendant un coma ?

Personne n’a pensé que pendant ces quelques mois où je n’ai plus donné signe de vie, il avait pu m’arriver des choses un peu intéressantes ? Quelques changements qui m’auraient tenu éloigné de mon écran d’ordinateur, que je me mette à toucher un corps qui ne soit pas le mien, par exemple, ou des trucs comme ça ? Ou qu’au contraire, j’aie achevé un important travail littéraire ? Vous ne vous êtes pas lancé dans des achats compulsifs de revues, juste pour voir si je n’écrivais pas dedans ?

Bon, vous avez eu raison, il ne s’est rien passé de tout ça – vous n’aurez pas à être perturbés. Non, je crois tout simplement que j’ai fait un blocage. Exactement comme quand vous vous êtes tenu à l’écart des hommes pendant un moment et que vous ne savez plus comment faire pour revenir parmi eux. Qu’est-ce que vous allez bien pouvoir leur dire ? Je vous avais laissé sur un claquement de porte cynique contre les rigolos défenseurs des droits de l’homoncule, amusez-vous avec ça, je ricanais entre mes épaules, bien sournois, et puis… Et puis rien, évidemment. Je devrais avoir l’habitude, pourtant.

C’est bien ça : je ne savais pas comment revenir parmi vous. Même Ulysse a dû faire profil bas quand il est rentré à Ithaque. J’aurais eu plein de choses à vous dire, pourtant ! Ça m’a bien titillé quand même, de vous pondre une nouvelle qui vous tire des larmes – de rire ou d’autre chose –, j’imaginais déjà vos réactions : d’un côté, ceux qui diraient : ah ! enfin, on le retrouve, notre Juldé ! De l’autre, les déçus qui trouveraient que je gâche mon talent. Qu’est-ce que vous voudriez que j’en fasse, de mon talent ?

Je ne savais pas quoi vous offrir. Un dessin ? Un texte ? Ressortir quelque fond de tiroir, tout en sachant que je n’ai plus grand-chose d’intéressant dans mes tiroirs ? Il y a même quelques pervers dans mon entourage qui ont essayé de me convaincre de remettre mon journal en ligne… C’est ça ! Et c’est vous qui viendrez me bander les yeux le jour de mon exécution capitale ? Non, non. Il fallait du nouveau. J’ai cherché, j’ai cherché… J’ai même cru un instant que je n’arrivais tout simplement plus à écrire. Autre chose que mon foutu journal, disons. Ce n’était pas les idées qui manquaient, pourtant – c’est plutôt qu’elles arrivaient dans tous les sens, impossible d’en attraper une au vol pour la considérer calmement cinq minutes, elle était immédiatement suivie par toute une flopée de copines. Il a fallu que j’aille en rampant me mettre à l’abri.

C’est amusant, comment les choses se passent. Vous « publiez » un texte, tout en pensant qu’il sera bientôt suivi par un autre. Vous ne savez pas quand, vous ne savez pas de quoi parlera cet autre, mais à vrai dire, vous ne vous posez même pas la question. C’est juste que ça s’est toujours passé comme ça jusqu’à présent. Vous vous doutez bien qu’il faudra attendre un petit peu avant de revenir à la charge, mais vous ne vous faites pas trop de souci : les choses se feront en leur temps. Et vous laissez passer plusieurs jours, qui se transforment en semaines, et vous n’avez rien à dire. Et les semaines se transforment en mois, et plus le temps passe, plus vous savez que vous aurez du mal à revenir. Qu’il faudra trouver quelque chose d’intéressant… D’intéressant ? Est-ce que vous vous souciiez d’être intéressant, avant ? Vous ne savez même plus. En tout cas, vous vous dites que vous ne pouvez pas revenir simplement comme ça, pour balancer une petite vanne comme vous en avez le secret, et vite retourner vous blottir dans votre tranchée en attendant les réactions. C’est dommage : c’est pourtant comme ça que vous avez toujours fait jusqu’à présent. Alors, quoi ? C’est ça, le truc ? Juste un petit signe de temps en temps pour montrer que vous respirez encore ?... On dirait bien que c’est ça. Je crois que je ne serai jamais de ces gens qui vous écrivent des textes-fleuves. J’ai déjà dans mon armoire – là, il ne s’agit plus de tiroirs, croyez-moi – un journal-fleuve, et je me suis toujours dit que je ne voulais pas être simplement l’auteur de cette œuvre-là. Et je persiste : ce n’est pas ce que je veux. Mais d’un autre côté, je ne sais pas trop ce que je veux. Alors en attendant, j’appuie sur des boutons au hasard pour voir ce que ça fait. Un jour, j’aurai écrit mon dernier mot. Et personne ne se doutera que c’est le dernier, jusqu’à ce qu’on finisse par s’en rendre compte. Et je suppose qu’une fois de plus, j’aurai réussi à être décevant.

Je ne sais même pas ce que je voulais dire en commençant ce texte. Du coup, j’ignore si j’ai réussi à le dire ou pas. Peut-être que je n’avais rien à dire, en fait. Oui, après réflexion, c’est sûrement ça. Parler pour ne rien dire, c’est encore ce que je fais de mieux.


Sinon, vous, ça va ?

14 commentaires:

Anonyme a dit…

C'est lumineux ... mais ça vient un peu tard, nous avons déjà donné, nous avons nos pauvres et nos oeuvres de charité !

iPidiblue, passez l'an prochain mon brave on pensera à vous.

Raphaël Juldé a dit…

Alors là, je suis dégoûté ! J'avais préparé mon grand retour et tout, prêt à être acclamé ou peu s'en faut, et bing ! Ingrid Bétancourt est libérée le même jour ! Cette salope me pique la vedette, ça ne va pas se passer comme ça...

Anonyme a dit…

2 avril. 8 juillet. Ensuite 28 septembre. 5 février 2009. Puis 9 décembre 2009. 15 mars 2010.

Tu nous ferais pas ton Laurent Voulzy, toi ? Pond un truc tous les 10 ans, le Zyzy (attention, je prends l'exemple de Voulzy parce que c'est le chanteur qui te ressemble le moins physiquement).

Ce qui est bon avec toi, c'est que tu es constant, finalement. Et puis ça nous change de tous ces connards performants, productifs, et tout.

Bon, en tout cas, je t'appellerai certainement fin août pour m'assurer qu'il ne t'est toujours rien arrivé.

Big bisous,
Z.

Anonyme a dit…

Laisse Raphaël, sur le long terme, on ne parlera plus que de toi ... tes lecteurs te sont fidèles !


iPidiblue sort de la jungle des blogs

Anonyme a dit…

LIBEREZ JULDE !
LIBEREZ JULDE !
LIBEREZ JULDE !
LIBEREZ JULDE !
LIBEREZ JULDE !
RENDEZ-VOUS JULDE !
ON VEUT DU JULDE !
TOUS LES JOURS, DU JULDE !
ON VEUT MANGER DU JULDE !
BOIRE DU JULDE !
DU JULDE MEME EN JUILLET !
LIBEREZ JULDE !
LIBEREZ JULDE !
LIBEREZ JULDE !
LIBEREZ JULDE !
JULDE AVEC NOUS !
JUUUULDEEEEE SI T'ES CHAMPION...
JULDE JULDE JULDE
DONNEZ-MOI UN J DONNEZ-MOI UN U DONNEZ-MOI UN L DONNEZ-MOI UN D
DONNEZ-MOI UN E
J.U.L.D.E
LIBEREZ JULDE !
LIBEREZ JULDE !
LIBEREZ JULDE !
LIBEREZ JULDE !
LIBEREZ JULDE !

Anonyme a dit…

Non justement la qualité suprême de Juldé c'est sa discrétion on sait qu'on n'en aura jamais une indigestion, juste un parfum, un avant-goût, une petite bouchée deci delà ...

iPidiblue en un temps indiscret

Raphaël Juldé a dit…

Inutile d'insister, iPidiblue, je ne coucherai pas avec vous.
Ou alors, faites-vous opérer.

Anonyme a dit…

On peut se tenir par la main quand même ...

iPidiblue la discrète

Anonyme a dit…

Dis donc Raphaël, si j'étais une fille et que je voulais niquer avec toi, il faudrait drôlement que je m'accroche !

iPidiblue désappointé

Anonyme a dit…

Pas tonitruant du tout,maispas petite musique de nuit non plus. Pas envie de jouer à trousse logos aujourd'hui : personne d'autre n'aurait pu écrire un tel texte, ce charme mezzo voce. Mais chut! Savourons ces premiers pas de juillet.

Restif, sans falbalas.

Anonyme a dit…

Superbe ! On te retrouve tel qu'on te connaît et qu'on t'aime - avec même, je trouve, une petite nouvelle maturité dans le néant !

En fait, je me suis dit qu'après avoir interrompu la publication de ton journal en ligne, ce qui était, au fond, ta seule structure, tu as dû perdre tous tes repères, et tu as attendu que quelque chose se passe.... Et comme rien ne s'est passé, tu as eu le courage de créer l'événement toi-même en affirmant le non-événement de celui-ci. Enfin, tu me comprends. Bienvenue chez toi, en tous cas !

Raphaël Juldé a dit…

Tiens, Pierre, toi qui es dans les petits papiers du Seigneur (mais si, mais si...),tu penses que quand on a vécu toute une vie de néant, on se rattrape dans la mort ?

Ou pas ?

Anonyme a dit…

Si on n'a rien fait de toute sa vie, selon mes sources - bien informées - là-haut on a le droit de lutter contre Godzilla !

iPidiblue la vie outre-tombe est un jeu vidéo

Anonyme a dit…

Le néant, c'est Little et ses pages déjà poussièreuse , c'est la liste des meilleures vente de Lire. Pas ce petit solo d'âme, cette légèreté blessée ; douceur qui saigne…

Restif, habitant -un instant- de cette pénombre charmante frôlée par la lumière.