Jeudi 8 juillet 2004.
Le départ se fait sous une pluie bien lavalloise. Carine est déjà à la gare lorsque j’arrive, amené par ma mère. Celle de Carine est là aussi, ainsi que les deux enfants qu’elle garde. Il faut croire que Carine s’était jurée d’être la première à la gare pour qu’on ne puisse prétendre l’avoir trop attendue… Sébastien arrive peu après, le périple peut commencer. De Laval au Mans, rien à signaler : c’est le matin, nous lançons quelques plaisanteries sans envergure. Le premier compliment que je fais à Carine — bien obligé, puisque je me suis moqué d’elle — est pour ses pieds. Celui-là ne pourra donc plus me resservir. Ce jeu des compliments brise les envolées de Sébastien, qui n’ose plus vraiment sortir de plaisanteries à l’égard de Carine, de peur du châtiment. Il s’en ouvre auprès de nous au buffet de la gare du Mans, mais nous sommes sans pitié : le jeu continue. Il s’arrêtera de lui-même, je pense, quand nous en aurons tous marre. Nous attendons une heure au buffet, Carine devant un muffin indigeste qu’elle se force à manger. Du Mans à Roissy, le train-train nous pousse mollement, l’apathie s’installe. Ces wagons Alsthom sont de très honorables somnifères. Lorsque son compagnon de voyage du moment a déserté la place à côté de la sienne, Sébastien s’allonge sur la banquette, en habitué des longs courriers. Je déclare : « Voilà un gars qui ne se contente pas des chemins de fer de Petite Ceinture : lui, c’est la Grande Boucle ! »
L’arrivée à Roissy se fait beaucoup plus simplement que la dernière fois : nous sommes en un clin d’œil à la porte F2, en passant devant le terminal E2, celui dont la passerelle s’est écroulée dernièrement sous le poids des voyageurs. Sébastien, le capitaine d’équipe, prend les billets et nous entrons dans la file d’attente pour l’enregistrement de nos bagages. Nous approchons lentement des guichets, quand hôtesses d’accueil, cerbères et cognes, mitraillette en bandoulière, nous font signe de reculer : un colis suspect vient d’être repéré et l’équipe de déminage doit le faire sauter. Nous sommes donc refoulés sur une centaine de mètres, un périmètre de sécurité est délimité, et tout le monde attend les démineurs avec anxiété : certains craignent que l’avion ne décolle sans eux (comme si un avion de ligne pouvait partir aux trois-quarts vide), d’autres voient les minutes passer et calculent déjà le retard que prendra le bousin. Sébastien et moi pouvons évaluer la patience de Carine, qui est extrêmement limitée, mais ce n’est pas une énorme surprise… Les démineurs finissent par se pointer, préparent leur petite cuisine consciencieusement tandis que les bidasses derrière un cordon rouge, pétoires en main, veillent à ce que personne ne franchisse le périmètre interdit ou ne prenne de photos de l’opération. Pan ! La valise explose, les ouvriers ramassent leurs outils, nous pouvons retrouver notre file d’attente, qui se recompose instantanément, plus brouillonne que précédemment, ce qui est dommage. Un voyage qui commence dans le désordre part sur de très mauvaises bases : ne risque-t-il pas d’aller en s’améliorant au fil des jours ?... Nos bagages partent de leur côté, nous du nôtre. Pour franchir les barrières électroniques, nous devons même enlever nos chaussures. Un voyage qui commence en chaussettes (ou pieds nus pour Carine), a malgré tout peut-être quelques chances de finir en slip…
L’avion décolle avec une heure de retard, je me suis retrouvé à une place isolée derrière Carine et Sébastien, comme un enfant puni, pour la bonne raison que l’avion est plein à craquer… ou aurait dû l’être, puisque le siège à côté de moi était libre et que j’ai pu ainsi, une fois dans les airs, me rapprocher un peu de mes compagnons d’épopée. Du coup, comme un enfant puni, je refuse mon plateau-repas. Une fois les nuages troués par l’appareil, le soleil devient agressif. Ma place est juste à côté des chiottes, je vois défiler hommes, femmes mûres, jeunes femmes (et parmi ces dernières, quelques jolis petits lots), qui se pressent pour poser leur pêche dans l’azur. Je pourrais m’ennuyer, mais je commence la lecture de L'Invité mystère de Grégoire Bouillier dont les phrases interminables et brodées d’incises m’enchantent. Mais trop de plaisir d’un coup n’est pas bon pour mon cœur : je dois doser et repose le livre. Je pourrais m’ennuyer, mais des écrans diffusent des émissions de caméra cachées. Je ne m’ennuie donc pas : j’ai envie d’avaler un flacon de nitroglycérine et de me foutre le feu, c’est tout. Le sol de Rome-Fiumicino vient heurter les roues de notre avion, nous tournons un moment sur la piste d’atterrissage, puis nous quittons l’habitacle sous la pluie d’arrivederci des hôtesses et du commandant de bord. On se masse comme des sardines sans huile dans une navette qui nous dépose devant l’entrée de l’aéroport. Carine s’accroche fermement à Sébastien à défaut de trouver une barre de sécurité que ses petits bras pourraient atteindre.
Reste à récupérer nos bagages. Nous restons un bon moment à regarder tourner des sacs inconnus qui nous deviennent assez vite familiers avant de comprendre que les nôtres tournent sur un autre carrousel. Carine, qui nous disait depuis un moment que nous devrions peut-être surveiller d’autres tapis roulants, jubile de « je-l’avais-bien-dit » et je jubile de mauvaise foi.
L’express Leonardo nous porte jusqu’à la gare de Termini : une demi-heure de train à travers la banlieue romaine aux décors hollywoodiens : des façades d’immeubles colossales et carrées, roses et jaunes, parfois saumon, clinquantes et cradingues — du carton-pâte qu’on s’attend à voir démonté et plié par quelques techniciens de plateaux ciné. À la gare, nous faisons résonner les roues de nos valises sur le bitume, Sébastien en tête, moi au milieu et Carine fermant la marche. Notre hôtel n’est pas loin, reste à le trouver. Je rencontre déjà quatre ou cinq femmes de ma vie dans les rues de Rome. Touristes ou autochtones ? Les rues grouillent de filles vêtues du strict minimum au-dessous duquel la décence n’est plus qu’un anachronisme. Minijupes à foison, nombrils aux aguets, tétons frétillants : je me pincerais bien, mais je dois traîner ma valise. Il faut dire qu’il fait plus de 30°, ici : on est loin du temps pourri du Palindrome… On finit par trouver l’hôtel, via Castelfidardo. Carine est au troisième étage, nous au cinquième. L’ascenseur antique, enfermé dans sa grille, ne peut supporter que trois personnes sans bagages, ou deux avec bagages. J’accompagne Carine dans l’ascenseur jusqu’à son étage, avec les valises, et Sébastien nous rejoint par les escaliers. Carine découvre sa chambre, la 313, très petite mais pourvue d’un ventilateur, et nous découvrons l’une de ses voisines, une blonde qui téléphone sur le palier, seulement couverte d’une serviette de bain. Comme s’il ne faisait pas déjà assez chaud ici, il faut que les filles s’y mettent ! Notre chambre, à Sébastien et moi, la 508, ne possède pas de ventilateur. Mais elle est plus grande, évidemment, et la fenêtre donne sur la rue, alors que celle de Carine donne sur une cour carrée qui laisse très peu passer la lumière. Ruée vers la douche. Cinq minutes plus tard, je suis de nouveau en nage. Carine vient frapper à notre porte, elle a relevé ses cheveux et porte un débardeur et un short que Sébastien qualifie d’« éponge », ce qui vexe un peu ma mie (et je pense qu’elle a quelques raisons de l’être). Mais comme une boutade chasse l’autre, elle ne reste jamais vexée bien longtemps… enfin, jamais longtemps pour la même raison, en tout cas.
Carine essaie de régler un problème de portable : elle ne peut pas appeler la France, et nous sortons dans la fraîcheur du soir, traînons dans le quartier, entre la gare de Termini et les thermes de Dioclétien, qui rappellent un peu Cluny à nous autres nostalgiques du boulevard Saint-Michel… Nous n’avons pas très faim mais une grande soif, nous nous installons à la terrasse du Gran’ Caffè. Carine parvient enfin à joindre la France, nous commandons tout de suite une bouteille d’eau, puis je prends des tagliatelles alla bolognese et mes compadres des pizzas. Les plats sont un peu trop salés et nous n’avons pas vraiment d’appétit, mais on fait avec ce qu’on a. Des accordéonistes viennent nous jouer, mal, la sérénade et nous demandent des sous, que nous ne leur donnons pas. Sébastien se retrouve durant cette soirée avec deux compliments à faire à Carine, et il s’en sort avec brio : « J’aime ton nez mutin et ton nombril furibond ! » Ce n’est pas très crédible, surtout en ce qui concerne le nombril, que Carine ne dévoile jamais, mais comme ça la fait rire, la dette est épongée. Nous restons près de deux heures dans le restau, le service est lent, nous parlons beaucoup petites culottes et strings, ce qui doit être le résultat de la fatigue du voyage et d'un certain penchant collectif pour la grivoiserie, et nous rentrons à l’hôtel. Là, nous regardons sur un plan de la ville ce qu’il serait intéressant de voir demain. Sébastien et Carine surtout évaluent les priorités, potassent le guide, etc. Lorsque Carine nous quitte, je m’attable devant mon journal, Sébastien fait sa douche et se couche. J’ai deux stylos à encre : le premier, qui m’a servi pendant des années, fuit comme un lâche et l’autre, que je viens d’acquérir, ne s’est pas encore « fait » à ma main. Du coup, fatigué d’appuyer comme un fou pour tracer des lettres à peine lisibles, j’utilise un bic, outil que je n’aime pas particulièrement.
2 commentaires:
Emplacement reservé à
Sa Majesté Innocente.
Ne rien déposer SVP.
Agent R. pour la circulation des coms.
Agent Rouge,
N'exgérez pas l'importance de nos petites notules au bas du voyage immortel dans la très sainte cité !
iPidiblue papabile
PS Doit-on dire PapaJubilé ou PapaJuldé en la novlangue des blogs ?
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