mardi 15 juillet 2008

Voyage à Rome (8/11)


Jeudi 15 juillet 2004.


Le réveil sonne à 6 h 30, je vais comme un zombie me réveiller sous l’eau froide. On frappe à la porte de Carine une heure plus tard. Elle n’est pas tout à fait prête, et Sébastien marque son impatience d’une façon assez visible. Carine ne le prend pas au sérieux et se prépare tranquillement. C’est que nous avons une journée assez chargée qui nous attend. Pas le temps de prendre le petit déjeuner, d’ailleurs le restaurant de l’hôtel n’est pas encore ouvert. Nous nous engouffrons encore ensommeillés et muets dans le métro de la station Termini et émergeons à quelques mètres de la place Saint-Pierre. Tout de suite, nous rejoignons la file d’attente déjà assez longue qui déploie ses anneaux sur le trottoir, au pied du bunker qui renferme les musées du Vatican. À peine arrivés, nous sommes déjà suivis par des dizaines de personnes. Groupes d’étrangers, Japonais, étudiants, nonnes… Le musée ouvre à 8 h 45, et la file alors avance très vite. Au pas de course, même. Nous passons à la billetterie — 12 euros l’entrée —, faisons glisser nos sacs sur le tapis roulant en passant nous-mêmes au détecteur de métaux, et c’est la ruée vers les escaliers. Les galeries traversées à vive allure, celle des Candélabres, celle des Tapisseries, celle des Cartes, mériteraient toutes une attention émerveillée (plafonds somptueux, tapisseries tissées sur des cartons de Raphaël, cartes topographiques splendides) ; mais tout le monde est collé à tout le monde, et veut avancer, avancer jusqu’à la chapelle Sixtine — parce que beaucoup ne sont venus là que pour elle. Passage en trombe dans la salle Sobieski, puis descente par des escaliers encombrés vers, enfin, la sweet Sixtine…


Une chapelle, ça ? C’est un hall de gare !... Tous les visiteurs amassés dans un bloc compact font un brouhaha incessant, malgré les « chut ! » lancés par certains gardes. Pourquoi chut ? Parce qu’à l’origine, il s’agissait d’un lieu de culte ? Allons, la Sixtine n’a plus rien de religieux : c’est un musée, un point c’est tout. Je croyais qu’on entrerait dans une chapelle qui se trouvait à l’extérieur de l’édifice, qu’on en verrait la façade, or il n’en est rien. On se retrouve tout de suite dedans au pied d’un escalier, agressé par le bruit et la cohue autant que par les couleurs criardes dégoulinant des murs et des plafonds récemment restaurés. Déception, c’est le mot. Le Jugement dernier de Michel-Ange, oscillant entre bleu turquoise et rose-bonbon, m’apparaît avant tout comme une vaste étude de l’anatomie humaine, comme un exercice appliqué, soigné certes, mais trop mignon pour être beau. Dans d’autres circonstances, je l’aurais sans doute perçu différemment, mais ce déferlement de muscles exagérés, de corps humains en pagaille, passée la première impression assez forte, me laisse dubitatif. Ce qui me gêne, surtout, ce sont les lignes noires très prononcées qui encerclent les personnages : ce style bande dessinée avant la lettre m’écoeure un peu. Bien sûr, il y a des parties magnifiques dans cette œuvre : la barque de Charon, saint Barthélémy, sa peau à la main, certains damnés… mais ce bleu abominable est-il vraiment sorti de la palette de Michel-Ange, ou est-il dû aux travaux de restauration ? Les fresques du Pérugin sur Moïse ne sont pas franchement ce qu’il a fait de mieux. En général, je n’aime pas trop les fresques, cette manière de raconter en un seul tableau des événements qui se sont produits sur plusieurs jours ou plusieurs années… Il faudrait, pour apprécier vraiment la Sixtine, être en petit comité et prendre le temps d’apprécier chaque détail. Ce temps, nous ne l’avons pas. À lever les yeux vers la voûte de longues minutes nous ne pouvons que tenter d’extraire quelques détails de ce fouillis de formes et de couleurs : la Création du Soleil et de la Lune, la Création de l’Homme, évidemment, le Péché originel, le Déluge… Le désir de Michel-Ange était-il d’assommer son spectateur ? De l’air, de l’air !...


Nous quittons cette foire aux bestiaux avec soulagement, il n’y a personne d’autre que nous trois dans la chapelle de Pie V, et peu de monde dans le couloir de la galerie d’Urbain VIII. Nous respirons. Salle des papyrus, musée égyptien où se trouve une fascinante femme momifiée… La bibliothèque, malheureusement, est tout juste visible : des cordons empêchent le visiteur de s’en approcher. Lors d’une première escale dans un carrefour où se mêlent articles de souvenirs, livres d’art et bureau de poste, nous achetons des timbres pour nos cartes postales. Nous recherchons la Pinacothèque, que nous finissons par trouver. Nous prenons cette fois-ci notre temps pour admirer ces Botticelli, ces Caravage (la magnifique Déposition de croix), ces Poussin, ces Véronèse, ces Titien… et la salle aux tapisseries, avec le triptyque de Raphaël : la Madone de Foligno, le Couronnement de la Vierge et son champ du cygne : la Transfiguration !


Nous avons raté le musée Pio Clementino et l’escalier de Bramante, mais pas une salle des animaux assez étonnante. Après une pause dans une cour que nous n’avons même pas le courage — ou pas la présence d’esprit — de visiter vraiment, nous repartons en direction des chambres de Raphaël. Nous entrons dans la salle de Constantin, aux fresques décevantes. D’ailleurs, Raphaël n’en est pas l’auteur, c’est en grande partie Giulio Romano qui a exécuté les fresques murales, et Tommaso Siciliano a brossé le Triomphe du Christianisme sur le Paganisme sur la voûte. Éblouissement dans la chambre d’Héliodore : sa Libération de saint Pierre, à la lumière si géniale, qui joue avec la lumière naturelle de la fenêtre située dessous, est une merveille. Héliodore chassé du temple et Léon le Grand à la rencontre d’Attila, la Messe de Bolsène : trois chefs d’œuvre. La salle de la Signature, avec l’École d’Athènes, est un nouvel émerveillement. Contrairement à Michel-Ange (je parle du Michel-Ange de la chapelle Sixtine), Raphaël ne fait pas d’effets de manches. La pureté de ses cadrages, l’extrême diversité de ses modèles, la vie au sens propre, la vie biographique qu’on peut deviner derrière les traits de ses personnages, l’intensité de sa palette quand Michel-Ange travaille par grands aplats de couleur, tout cela, c’est l’empreinte du génie. Nous finissons par la chambre de l’Incendie de Borgo, à laquelle Sanzio ne travailla qu’en partie. Le tableau éponyme est entièrement de sa main.


Pour finir, Sébastien voulait voir les appartements de Borgia, mais il s’est mis à douter de son désir en apprenant qu’il s’agissait d’une galerie d’art contemporain. Nous nous sommes finalement lancés, et la galerie vaut surtout pour ses plafonds. Il y a là un très oubliable Bacon, une étude pour ses Papes, deux Dali — dont une Crucifixion — pas mauvais, une poignée de décevants Buffet (quel besoin avait-il de préciser en énorme sur ses toiles le sujet de celles-ci, alors que n’importe qui peut deviner qu’il s’agissait d’une Pietà, par exemple, ou d’un portait du Christ en croix ?)…


Nous quittons enfin le musée, où nous avons passé plus de deux heures, et nous asseyons à l’ombre, à côté d’un groupe de jeunes français avec lesquels je n’ai aucune envie d’entrer en contact. Carine se remet de la crème solaire, moi je somnole un peu, déjà…


Avant de quitter le Vatican, nous devons trouver des enveloppes pour nos cartes postales et Carine veut acheter des souvenirs pour ses proches. Je l’accompagne dans les magasins tandis que Sébastien va à la Poste chercher les enveloppes… et qu’il en profite pour acheter un livre sur Michel-Ange et Raphaël qui nous avait bien alléchés tous les deux. Finalement, je l’achète aussi, Sébastien m’ayant avancé de l’argent parce que je n’avais plus suffisamment de liquide. Entre-temps, après avoir réussi à force de lutte à coller nos putains d’enveloppes, nous avons aussi posté nos cartes, qui ne parviendront à leur destinataire qu’après notre retour, mais bon… Nous empruntons la via della Consolazione pour quitter le Vatican et retrouver Rome, où nous longeons le Tibre aussi vert que les feuilles des arbres. Sébastien marche vite devant nous et je sens bien que Carine est fatiguée : elle suit derrière et ne dit pas un mot. C’est que nous avons du chemin à parcourir jusqu’à la basilique Santa Maria in Cosmedin, où se trouve la célèbre Bocca della Verità, la Bouche de la Vérité où les touristes viennent plonger la main pour savoir s’ils seront mordus, ce qui prouveraient qu’ils sont des menteurs. Nous y arrivons en même temps qu’un car de touristes japonais qui font la queue pour se faire prendre en photo la main dans le sac. Nous entrons dans la basilique, du XIIe siècle, nous asseyant sur un banc comme nous le faisons habituellement pour admirer plus à notre aise, et j’ai bien du mal à garder les yeux ouverts. La courte nuit et le soleil coriace m’ont assommé.


Sébastien a des messages à envoyer sur Internet, Carine des souvenirs à acheter encore, nous voulons prendre le bus pour Barberini. Après avoir attendu de longues minutes sous un soleil de plomb le bus qui convenait, nous décidons de monter dans le 44, qui nous dépose piazza Venezia. De là, nous recherchons toujours un bus pour Barberini… que nous finissons enfin par trouver sur le Corso. Nous n’avions encore jamais composté nos tickets de bus, les véhicules de Rome étant pourvus de deux machines pour deux sortes de billets différents. La machine qu’il nous fallait étant toujours trop loin et les voyageurs trop nombreux, c’était inutile d’insister. C’est donc aujourd’hui la première fois que je poinçonne mon ticket ainsi que ceux de mes compagnons d’épopée. L’émotion de la première fois !


Via Barberini, Sébastien va donc à la boutique Easy Internet, et j’accompagne Carine, qui a les épaules sciées par les lanières de son sac à dos, dans un magasin de souvenirs. Elle trouve vite ce qu’elle cherche, je l’aide à porter ses sacs et nous rejoignons Sébastien, qui ne nous attendait pas si tôt, essayant de nous plonger, Carine dans un Fred Vargas, moi dans Rome sous la pluie, de Burgess, pour ne pas lire ce qu’écrit Sébastien. Ça marche tellement bien que je commence à m’endormir sur mon livre. Pour finir, comme il reste une dizaine de minutes sur le compte de Sébastien, Carine veut lire mon journal, enfin en lire une partie : le début du mois de juillet 2003.


Le métro nous ramène à Termini, Carine nous conduit dans l’immense magasin d’un marchand de vin où elle souhaite trouver de la Grappa à ramener à son frère. Il y a trop de choix, elle renonce.


Nous sommes tous très fatigués quand nous nous retrouvons pour aller au restaurant. Pour ne pas avoir à choisir, nous optons pour le Rossi, ce restau de la via Palestro où nous avons déjà mangé deux fois et où l’un des serveurs parle français. Je prends des spaghetti au saumon, Carine une pizza aux crevettes, Sébastien une aux fruits de mer. Nous sommes très poisson, ce soir. On n’est pourtant pas vendredi… Pour finir, Sébastien et moi commandons de l’ananas et Carine prend un Cappuccino. En sortant de notre hôtel, nous sommes tombés sur les musiciens d’hier qui jouaient encore Les Enfants du Pirée à Mach 5. Comme ils nous l’ont joué une deuxième fois à la terrasse du Rossi, nous avions cet air-là dans la tête toute la soirée. Nous nous sommes encore bien amusés, la fatigue aidant à trouver drôle n’importe quelle connerie.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Finalement Rome ça vaut pas Laval ..; question pittoresque, il y a moins d'originaux et beaucoup de copies !

iPidiblue déçu par l'intourist

Raphaël Juldé a dit…

Ne dites pas ça : on va bientôt voir débarquer des cars de touristes japonais au Palindrome !

(Remarquez, sur le plan fétichisme des petites culottes, on pourrait s'entendre, les Nippons et moi...)

Anonyme a dit…

C'est surtout les chinois maintenant qu'il faut craindre ...
Nous sommes tous des tibétains !

iPidiblue tibétain juif allemand