mardi 3 juillet 2007

Voyage à Istanbul (9/15)


Lundi 14 juillet 2003.


Il y a des journées qui dès l’aube s’efforcent de te prouver que tu n’aurais pas dû te lever. Empruntant une nouvelle fois le funiculaire pour Galata, nous aurions dû nous douter pourtant que nous allions au devant de graves désillusions : ce n’est pas une destination qui, jusque là, nous a particulièrement souri : le spectacle des derviches trop cher, l’Institut français refusant de nous faire entrer, etc. Mais, comme la mouche qui revient sans arrêt se cogner à la même vitre sans comprendre qu’elle ne peut pas la traverser (selon une image chère à Jaenada) nous voilà de retour sur Istiklal Caddesi. Nous parcourons l’avenue jusqu’à la place de Taksim où se regroupent les membres d’un défilé folklorique que nous avons suivis malgré nous, défilé regroupant des musiques et des danses venues de Grèce, de Russie, de Roumanie, etc. Très militaire, tout ça. Alors les voilà, place de Taksim, à faire rouler le tambour sous la double statue d’Atatürk (époque moustaches à l’est, époque sourcils à l’ouest). Nous cherchons l’Opéra. Aucun bâtiment autour de nous ne nous fait penser à un Opéra, alors nous poursuivons nos recherches plus loin, traversant un parc, revenant sur nos pas, partant dans une autre direction… avant d’admettre enfin que l’Opéra, dont le bâtiment comprend aussi le Centre culturel Atatürk, c’est cet immonde immeuble de verre marron, là, qui fait plutôt bureau de la Sécu. Nous essayons de voir si nous pouvons y entrer, à tout hasard, mais le cerbère de l’entrée nous fait signe de partir. De retour sur Istiklal, nous essayons d’entrer au Consulat de France, pour profiter de la librairie. Mais là encore, le vigile dans sa guérite nous met au parfum à l’anglaise : « Today, closed. Open tomorrow ! » Evidemment, nous sommes le 14 juillet ! Distraits que nous sommes…


Alors nous décidons d’aller voir de plus près l’Aya Triada, « l’une des plus grandes églises orthodoxes d’Istanbul, ouverte tous les jours », d’après le Routard. Nous la trouvons assez vite, puisque ses clochers sont visibles depuis la place de Taksim. Elle se cache derrière une grille, toute blanche et pleine de fenêtres : l’air d’un hôpital du XIXème siècle. Nous entrons dans le narthex, richement décoré, mais les portes de l’église sont fermées. On s’assoit sur les marches, on attend… et un type vient nous faire comprendre que c’est closed. On va en prendre l’habitude…


Nous nous mettons à chercher une église catholique arménienne, que nous ne trouvons pas, puis une mosquée rococo qui ne se montre pas plus. Nous devons être maudits, à faire des tours pour rien dans les rues de l’Istanbul moderne, pleine de bruits, de musique sortant des magasins, toujours les mêmes musiques, la même chanson… Tarkan, sans doute.


Au bout d’un moment, nous nous asseyons devant le consulat de Suède pour faire le point. Il est vite fait. Nous cherchons alors le consulat de Hollande, toujours sur la même avenue. Nous trouvons la grille, avec son blason « Je maintiendrai ». Nous prenons à gauche, une petite rue qui descend vertigineusement (il faudra remonter…), passons devant un temple calviniste, devant le lycée français Pierre-Loti et l’église capucine saint Louis-des-Français, devant le Palais de Venise, résidence de l’ambassadeur d’Italie. La rue ne descend plus, elle monte, c’est Cukurcuma Caddesi, rue dans laquelle doit se trouver le quartier des antiquaires. En fait d’antiquaires : deux ou trois strapontins de bois vermoulu, perdus tous seuls sur les pavés, un secrétaire et deux chaises. Au bas mot. En haut de la rue doit se trouver, toujours selon notre cher guide, la plus grande concentration de Français. Autant dire que de Français, à cet endroit, il y en avait deux : Sébastien et moi. Le Routard avait aussi annoncé la « jolie petite mosquée en bois », à droite sur votre écran. Pauvre mosquée vert pomme… Je déteste vraiment tout ce qui est « joli ». Sauf les filles, bien sûr.


Nous n’avons plus rien à faire ici, on ne va pas s’enfoncer non plus. Retour sur Istiklal, où nous cherchons une carte postale pour Carine et des enveloppes de la taille de nos cartes. Le magasin où nous sommes ne vend pas d’enveloppes, nous devons aller au bureau de poste… où une employée essaie de me faire comprendre par geste que je dois me renseigner ailleurs – avant de demander à un type de me guider jusqu’à la papeterie la plus proche. Nous avons donc nos enveloppes, nous poussons jusqu’au Pera Palas, devant lequel nous avons dû passer plusieurs fois sans savoir de quoi il s’agissait. Façade verte qui part en lambeaux, luxueux mastodonte fatigué. L’intérieur doit valoir le coup d’œil, pour tous ces culs sacrés qui ont posé leur pêche entre ces murs qui se craquellent… Zsa Zsa Gabor, Joséphine Baker, Marie Bell, Marinetti, Sarah Bernhardt, Agatha Christie, Atatürk, Mata-Hari, Marc-Edouard Nabe… Nous poursuivons notre chemin, retournons au Coco-Gramofon, commandons des jus de fruits et recopions nos cartes postales. J’ajoute un dessin à notre lettre à Carine. Enfin nous retournons à la Poste, cette fois pour y déposer notre courrier. Après que nous avons attendu un bon moment derrière un couple qui postait un tas de colis pour les Etats-Unis, la mégère qui nous avait vendu les timbres grogne que ceux-ci ne sont pas assez chers pour des cartes postales. C’est 700 000 et non 600 000, une carte postale. Pas la peine de s’énerver, on ajoute un peu de monnaie.


Il n’est que six heures du soir mais nous partons à la recherche d’un restaurant. Il y a des journées dans la vie qu’il vaut mieux éviter de prolonger inutilement. Après avoir encore un peu tourné, on entre au Musa Ustam, présenté comme une « référence » par notre cher, etc. Restaurant assez peu intéressant d’aspect et aux prix élevés. Comme nous ne sommes pas à l’heure d’affluence, les serveurs restent tous à regarder une telenovela quelconque, captivés par l’intrigue du machin. Comme des bouteilles d’eau nous sont apportées directement, sans que nous n’ayons rien demandé, et qu’il nous faudra les payer, nous renonçons à demander d’autres boissons. Il nous amènent aussi un léger hors-d’œuvre non réclamé et à payer. On commence à se sentir énervés par leurs manières, et par leur mépris du client (ils sont vraiment tous alignés, yeux écarquillés, devant leur daube cathodique). Nous mangeons nos kebabs, payons et quittons les lieux. Sébastien, depuis ce matin, est sourd d’une oreille et il y a plusieurs jours qu’il a suffisamment d’ampoules aux pieds pour illuminer tout Istanbul (qui en aurait besoin). Il boîte donc un peu, à l’unisson avec tous les éclopés que nous croisons : culs-de-jatte, unijambistes, manchots, borgnes, etc. A croire qu’il n’y a pas un seul pauvre intact en Turquie ! Et Sébastien de déclarer qu’une journée qui commence par une oreille bouchée, on a tout intérêt à l’expédier au plus vite. Je lui fais remarquer que la petite Mary Ingalls a dû penser peu ou prou la même chose le matin où elle s’est réveillée aveugle…


Oui, il y a vraiment des journées, même à Istanbul, où rester couché ou sortir de chez soi ne fait pas grande différence…

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Bon alors ton diagnostic, on l'intègre ou pas cette Turquie réduite à Istanbul ?

Raphaël Juldé a dit…

I would prefer not to...