J’ai eu dix-sept ans du 29 janvier 1994 à 1 h 20 du matin au 29 janvier 1995 à 1 h 19. Durant cette période, j’ai eu dix-sept ans et demi, dix-sept ans et 2/3, dix-sept ans ¾, etc., mais on ne va pas tenir des comptes d’apothicaire… Disons dix-sept ans, et restons-en là. Cette année pas plus charnière qu’une autre occupe 302 pages de mon journal intime de l’époque, réparties sur trois cahiers format 21 x 29, 7 cm, grands carreaux.
À l’époque, j’avais plus de cheveux qu’aujourd’hui, mais beaucoup moins de barbe. J’offrais des dessins aux filles de ma classe pour masquer le fait que je ne savais pas leur parler. Ainsi, j’avais l’impression de paraître un peu intéressant.
Je lisais Les Misérables et j’écoutais les Doors. La mort de Kurt Cobain m’avait moins marqué que celle du chanteur des Négresses vertes l’année précédente, mais c’est qu’à l’époque je connaissais mal Nirvana. Juste après le suicide de l’idole grunge, j’ai réparé cette lacune et je me suis mis à brailler comme tout le monde les refrains du dépressif aux cheveux sales, avec un bon train de retard. J’ai toujours eu ce problème de timing, mais c’est logique : j’ai marché à vingt mois.
Je lisais Zola et j’écoutais Noir Désir. Je me sentais très concerné par la guerre en Yougoslavie et par le génocide au Rwanda (que j’écrivais « Ruanda » pour faire comme Cavanna dans Charlie Hebdo). Je n’avais pas vraiment d’avis là-dessus, mais enfin je me sentais très concerné. Je manifestais pour que Balladur enlève son C.I.P. et son Smic-jeunes. Je n’avais pas vraiment d’avis là-dessus, mais enfin je n’avais pas connu mai 68, alors je me rattrapais comme je pouvais.
Je lisais Bukowski (découvert après sa mort aussi) et j’écoutais Sex Pistols. Johnny Rotten était à la fois mon dieu et une sorte de grand frère. Mon autre grand frère, le vrai, jouait à la console Sega et au tennis de table. En hommage à Johnny Rotten, je me laissais pousser les caries. Aujourd’hui, j’ai beaucoup moins de caries, mais j’ai aussi beaucoup moins de dents. Je voulais être le plus punk de tous, mais je ne me teignais que pour Mardi-gras, par timidité. Le reste du temps, je portais ma crête dans ma tête. Mon slogan favori était : « Demain, c’est aujourd’hui en pire ! »
J’avais déjà lu Voyage au bout de la nuit et Mort à crédit, mais j’écoutais trop les « spécialistes » qui me conseillaient de ne pas poursuivre la découverte de l’œuvre de cette sale ordure antisémite de Céline. Je faisais du théâtre tous les mercredis soirs, mais même deux heures par semaine, j’avais du mal à être quelqu’un d’autre que moi-même. J’étais simultanément amoureux d’Hélène, de Stéphanie, d’Elina et de Valérie, mais si Delphine, Stéphanie (une autre), Solène, Véronique ou Stéphanie (encore une autre) m’avaient dit oui, je n’aurais pas dit non. Inutile de préciser qu’il n’y a jamais rien eu avec aucune de ces filles. Il m’arrivait encore parfois d’être assez beau, à cette époque (le 17 avril 1994, notamment…), mais c’était rare.
1994, c’est aussi l’année où je me suis évanoui dans le cabinet de mon médecin après un vaccin DT-polyo. Mon film préféré était Orange mécanique. Je me préoccupais beaucoup de l’évolution du Sida de Mano Solo (quand je pense qu’il vit toujours, cet escroc !). Mes héros préférés dans la vie réelle étaient Florence Rey et Audry Maupin, les « anarchistes-nihilistes » tueurs de flics.
Le 29 janvier 1995, j’étais déprimé comme à chacun de mes anniversaires, mais bien content au fond de ne plus avoir à repasser par mes dix-sept ans.
À l’époque, j’avais plus de cheveux qu’aujourd’hui, mais beaucoup moins de barbe. J’offrais des dessins aux filles de ma classe pour masquer le fait que je ne savais pas leur parler. Ainsi, j’avais l’impression de paraître un peu intéressant.
Je lisais Les Misérables et j’écoutais les Doors. La mort de Kurt Cobain m’avait moins marqué que celle du chanteur des Négresses vertes l’année précédente, mais c’est qu’à l’époque je connaissais mal Nirvana. Juste après le suicide de l’idole grunge, j’ai réparé cette lacune et je me suis mis à brailler comme tout le monde les refrains du dépressif aux cheveux sales, avec un bon train de retard. J’ai toujours eu ce problème de timing, mais c’est logique : j’ai marché à vingt mois.
Je lisais Zola et j’écoutais Noir Désir. Je me sentais très concerné par la guerre en Yougoslavie et par le génocide au Rwanda (que j’écrivais « Ruanda » pour faire comme Cavanna dans Charlie Hebdo). Je n’avais pas vraiment d’avis là-dessus, mais enfin je me sentais très concerné. Je manifestais pour que Balladur enlève son C.I.P. et son Smic-jeunes. Je n’avais pas vraiment d’avis là-dessus, mais enfin je n’avais pas connu mai 68, alors je me rattrapais comme je pouvais.
Je lisais Bukowski (découvert après sa mort aussi) et j’écoutais Sex Pistols. Johnny Rotten était à la fois mon dieu et une sorte de grand frère. Mon autre grand frère, le vrai, jouait à la console Sega et au tennis de table. En hommage à Johnny Rotten, je me laissais pousser les caries. Aujourd’hui, j’ai beaucoup moins de caries, mais j’ai aussi beaucoup moins de dents. Je voulais être le plus punk de tous, mais je ne me teignais que pour Mardi-gras, par timidité. Le reste du temps, je portais ma crête dans ma tête. Mon slogan favori était : « Demain, c’est aujourd’hui en pire ! »
J’avais déjà lu Voyage au bout de la nuit et Mort à crédit, mais j’écoutais trop les « spécialistes » qui me conseillaient de ne pas poursuivre la découverte de l’œuvre de cette sale ordure antisémite de Céline. Je faisais du théâtre tous les mercredis soirs, mais même deux heures par semaine, j’avais du mal à être quelqu’un d’autre que moi-même. J’étais simultanément amoureux d’Hélène, de Stéphanie, d’Elina et de Valérie, mais si Delphine, Stéphanie (une autre), Solène, Véronique ou Stéphanie (encore une autre) m’avaient dit oui, je n’aurais pas dit non. Inutile de préciser qu’il n’y a jamais rien eu avec aucune de ces filles. Il m’arrivait encore parfois d’être assez beau, à cette époque (le 17 avril 1994, notamment…), mais c’était rare.
1994, c’est aussi l’année où je me suis évanoui dans le cabinet de mon médecin après un vaccin DT-polyo. Mon film préféré était Orange mécanique. Je me préoccupais beaucoup de l’évolution du Sida de Mano Solo (quand je pense qu’il vit toujours, cet escroc !). Mes héros préférés dans la vie réelle étaient Florence Rey et Audry Maupin, les « anarchistes-nihilistes » tueurs de flics.
Le 29 janvier 1995, j’étais déprimé comme à chacun de mes anniversaires, mais bien content au fond de ne plus avoir à repasser par mes dix-sept ans.