lundi 9 juillet 2007

Voyage à Istanbul (15/15)

Dimanche 20 juillet 2003.

Et la course recommence… Putain de dernière journée !...

Tout a pourtant commencé comme une journée banale : le petit déjeuner, le dernier d’Istanbul, après une petite nuit dans ce brouhaha qui nous est devenu coutumier – une engueulade dans la rue vers trois heures du matin… Aussi étrange que cela puisse paraître, nous n’avons pas eu de mal à fermer nos valises et, notre avion ne partant qu’à 14 h 50, nous avons même pu profiter d’une dernière balade sur la Corne d’Or, sur le pont de Galata infesté de pêcheurs à la ligne, Sébastien voulant acheter des simit avant de partir. Le bruit infernal des klaxons, la cohue du quai, les cris des marchands, le défilé ininterrompu des voitures ; je ne pensais pas que ce genre de détails pouvait me plaire. C’est le poumon de la ville qui me manquera.

Une bouteille de visne suyu achetée au supermarché en face de l’hôtel, nous récupérons nos bagages et montons dans un taksi en maraude – pas besoin d’attendre le taxi, ici : impossible de faire un pas sans en croiser dix.

Et la course recommence… Oh, tout en douceur d’abord, façon promenade à bicyclette : nous arrivons tôt à l’aéroport, nous nous installons sur un siège. Sébastien lit Constantinople en 1890, moi Le Chameau sauvage. Je vais assez vite voir le tableau des départs et le guichet d’enregistrement de nos bagages est déjà annoncé. Tout se goupille à merveille, nous nous débarrassons de nos valises et la fille du guichet est charmante. Nous attendons encore un peu puis nous traversons la douane et partons légers vers la porte d’embarquement… où nous attendons encore, assis par terre, ce qui est logique lorsqu’on est en avance. De nouveaux portillons détecteurs de métaux à franchir (le sac à dos de Sébastien est fouillé minutieusement), et l’embarquement est presque immédiat.

Sébastien somnole dans l’avion et je lis Jaenada. En quelques battements d’ailes nous sommes au-dessus de la Grèce. Le commandant de bord nous désigne, en italien puis en anglais, Corfou et Thessalonique.

A Rome, nous courons pour trouver la salle d’embarquement, persuadés qu’il est 17 h 30 et que nous n’avons qu’une demi-heure avant le départ. En passant sous une horloge nous comprenons notre erreur : j’ai simplement oublié de remettre ma montre à l’heure locale : il n’est que 16 h 30. Du coup, nous patientons encore longtemps, assis à côté d’un gros Noir et de sa moitié, une grosse blonde qui renifle et renâcle et tousse gras ses glaires, avec laquelle il joue à montre-moi-la-photo-de-ta-carte-d’identité-qu’on-rigole. L’avion partira finalement avec vingt minutes de retard. Sébastien lit Le Figaro, moi Le Chameau sauvage. Un café au-dessus des Alpes, nous sommes à 20 heures à Paris.

C’est là, de retour en France, alors que jusque là tout s’était déroulé sinon comme prévu, du moins dans les temps (l’avion Rome-Paris a rattrapé son retard), c’est là que tout part en quenouille.

Notre train, le dernier pour Laval, part à 22 h 05. Nous mettons une bonne vingtaine de minutes à récupérer nos bagages, puis nous devons rejoindre la gare pour y prendre le RER, le train partant de Montparnasse et non de Roissy. Le temps que Sébastien achète les tickets tandis que je garde les valises, il est neuf heures quand nous grimpons dans le RER.

Une heure seulement pour rejoindre la gare… Nous commençons à nous inquiéter. Moi surtout, de savoir qu’il faudra courir après le train en traînant nos valises, alors que la dernière fois que nous nous sommes trouvés dans cette situation j’ai dû mettre une bonne heure avant de reprendre mon souffle… Nous voyons la quinzaine de stations qui séparent Roissy de Denfert passer lentement, trop lentement devant nos yeux. Course folle, arrivés à destination, pour prendre le métro direction Montparnasse… et là je suis coincé dans le portillon, ma valise crochetée par une barre, je perds un temps précieux à me libérer, Sébastien, qui courait devant, fait demi-tour pour m’attendre, nous sautons dans le métro, à 58 nous sommes sur le quai de la station Montparnasse-Bienvenüe et nous galopons, traînant nos saloperies de valises, nous passons un premier tapis roulant, je commence à perdre de la vitesse, Sébastien est loin devant, au deuxième tapis roulant je le perds de vue, je ne sais pas par quel couloir il est passé, ce n’est pourtant pas la première fois que je me trouve dans cette gare mais là j’hésite, prends un couloir au hasard, renonce, reviens sur mes pas, comprends que j’étais sur le bon chemin et repars… Sébastien est loin devant, je ne le vois plus… Peut-être est-il déjà sur le quai… Il courait sans se retourner, il n’a sûrement pas vu qu’il m’avait semé… Je m’essouffle… De toute façon, maintenant, c’est trop tard… Je le cherche encore devant les portes automatiques de ce que je crois être les « Grandes lignes »… Je m’aperçois que je suis seulement devant le Transilien… Il faut encore monter…

Et là je perds les pédales. Il y a des jours comme ça où l’on agit impulsivement, sans s’en rendre compte, pour comprendre ensuite qu’on a tout fait de façon illogique.

J’ai dû vraiment avoir la sensation que j’avais perdu de vue Sébastien depuis une éternité. A aucun moment je n’ai pensé qu’il pouvait être sur le quai, en train de me chercher. Ou j’ai dû croire que, ne me voyant pas, il allait redescendre assez vite. J’ai donc attendu à l’étage du Transilien qu’il réapparaisse, descendant d’un escalator, éreinté et furieux d’avoir raté le train. Tout ce qui monte doit finir par redescendre, ça a dû me paraître plus logique que le contraire. J’ai bien vu plusieurs personnes qui descendaient, mais pas Sébastien.

Peut-être que notre précipitation m’a fait perdre la notion du temps, peut-être que j’ai eu un instant de panique comme lorsque, gamin, on croit s’être perdu sitôt que notre mère a disparu de notre champ de vision, et qu’on la cherche partout où elle ne peut pas être, incapable de reconnaître un lieu pourtant familier… Mon côté Bambi, quoi… Je ne sais pas. Toujours est-il que ne le voyant pas descendre, et pensant sûrement que pas mal de temps s’était écoulé, je me suis dit que soit il ne s’était pas aperçu que je ne le suivais pas et avait bondi dans le train au moment même où celui-ci fermait ses portes, l’empêchant de redescendre ; soit il était déjà redescendu du quai des « Grandes lignes » et m’attendait peut-être plus bas, sans doute devant les guichets du métro pour Châtillon, sachant que je n’avais que de l’argent turc sur moi et donc pas la possibilité d’acheter un ticket.

Toujours pas de Sébastien devant les guichets, bien sûr. Cette fois, je suis persuadé qu’il est dans le train pour Laval, tout surpris d’y être seul. Je demande un ticket à deux jeunes gens et là, impulsif toujours, je passe le portillon. Ce qui est idiot, puisque Sébastien n’aurait jamais l’idée de me chercher du côté du métro, persuadé qu’il est que je n’ai pas pu me payer le ticket. Mais je crois de moins en moins qu’il soit encore à la gare. Je continue à traîner ma valise jusqu’au quai de la ligne 13. Je me suis trompé de côté, ce métro-là va vers Gennevilliers, il faut que j’aille en face.

J’y vais donc, le métro arrive, j’entre : direction Châtillon. Nous nous étions dit que si nous rations le train, nous pourrions toujours dormir chez Arnaud. Sans doute que durant ma course cette optique est devenue une obsession, une évidence – et je me suis dit que si Sébastien avait, comme moi, raté le train (ce qui me paraissait de moins en moins probable), de toute façon nous nous retrouverions chez Arnaud. Et soudain, je songe à un détail, un de ces nombreux détails que j’avais occultés (comme par exemple le fait que, n’ayant que de l’argent turc sur moi, pas de chéquier et encore moins de carte bancaire, je ne pourrais pas plus prendre le train demain qu’aujourd’hui), un détail donc : la porte de la cour où loge Arnaud s’ouvre avec un code que j’ignore !... S’il est couché, il ne pourra peut-être pas m’entendre… Et s’il n’est pas chez lui ?... Je n’ose y penser, je me vois déjà passer une nuit à la belle étoile à Châtillon et incapable ni de prendre le train, ni de téléphoner demain. Je me sens poissard comme le héros du Chameau sauvage, oui, complètement jaenadaïsé. Arrivé à Châtillon et traînant ma valise sur le gravier pour franchir le kilomètre qui me sépare de la rue de Fontenay, je repense à une réflexion que je me suis souvent faite dans les cas « limites » : j’ai généralement plutôt de la chance. Maladroit tant qu’on veut, distrait au-delà de toute norme, mais poissard, justement, non. Généralement, quand je suis à moins une de rater le train, je m’engouffre dedans au dernier moment et tout se passe bien. Le hasard (qui n’existe pas) est en général plutôt de mon côté. Alors qu’est-ce qui a fait que tout déconne ce soir ? Que s’est-il passé pour que je me retrouve à traîner une valise à onze heures du soir dans une petite ville de la banlieue sud de Paris ? Et quand je vais me retrouver comme un con assis sur ma valise devant une porte close, sans savoir de quoi demain sera fait, regardant défiler les secondes sur le cadran digital de ma montre en attendant le lever du jour comme on attend le Messie, est-ce que, oui ou non, je pourrai me déclarer poissard ?

Mais j’arrive enfin, un poivrot zigzague devant moi, je pousse la porte et, ô miracle ! elle s’ouvre ! Je sonne chez Arnaud, deux fois : il vient m’ouvrir.

« Salut… Sébastien est là ?... »

Non, bien sûr, et Arnaud croit même que je lui fais une farce : il s’attend à voir surgir son frère derrière moi. Je lui explique ce qui vient de nous arriver devant un verre d’eau et laisse un message sur le répondeur de ma mère. Nous déplions le canapé-lit, je défais ma valise et constate, comble de la journée, que mon gel douche – ou mon shampooing -, s’est répandu dans ma trousse de toilette pendant le voyage, et de là dans ma valise. Bon, peu de dégâts, visiblement. Quelques minutes plus tard, Sébastien appelle Arnaud : « J’ai perdu Raphaël ! » Il est toujours à la gare, en train de me chercher, évidemment, comme font les gens normaux qui s’inquiètent pour vous. D’après Arnaud, il est furax. Il arrive trois quarts d’heure après. Pour lui aussi, les ennuis se sont succédés : en voulant téléphoner, il s’est aperçu qu’il n’avait plus de carte de crédit. Il a vidé son sac, hors de lui, jusqu’à ce qu’un agent de la RATP qui avait retrouvé sa carte n’intervienne. Puis, dans le métro, il a voulu se rafraîchir avec une bonne rasade de visne… Le métro a freiné, la chemise de Sébastien a été imbibée de jus de cerise et il a dû se changer dans le wagon. Carine va vraiment regretter de ne pas nous avoir accompagnés.

Enfin, nous sommes là, nous nous sommes renseignés par téléphone : il y a un train pour Laval à 8 h 05 demain. Nous achevons cette putain de journée en parlant d’Istanbul parce que quand même, merde ! Nous sommes de retour.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

RAPHAEL JULDE : ENCORE PLUS FORT QUE LE GUIDE DU ROUTARD !

(On se retrouvera au Tribunal, connard !).

Anonyme a dit…

Oh, zut, c'est déjà fini ... Tu nous emmènes où la prochaine fois ?
Bravo pour ce carnet de route, ça donne envie d'y aller ( ou d'y retourner pour ma part).

Anonyme a dit…

C'est déja fini ... on commençait à s'y habituer à toutes ces turqueries, au fond le grand turc c'est comme le dentiste le plus dur c'est d'y aller.